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J'aurais bien aimé être une fille comique...
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6 juin 2011

Typologie de l'étudiant en blocus

De la fin mai à la mi-juin, l'Université cesse d'être un temple du savoir. Elle n'est plus ce vieux bâtiment où souffle le léger murmure de cours ex catedra, ni cette ruche où les étudiants, comme des essaims réguliers, circulent et voyagent entre deux auditoriums. A la fin du printemps, oppressé par la canicule, le coeur du XX Août arrête de battre et chacun retient son souffle. C'est la cession de fin d'année.

CO30Ce matin, en arrivant dans le couloir du quatrième étage, une chaleur étouffante semblait peser comme un couvercle sur de pauvres petits étudiants : assis sur le sol, appuyés contre les murs, faisant les cent pas, ils ressemblaient à trente condamnés à une mort éventuelle. Et que je te passe mon cours pour vérifier une date, et que je te récite toute la page 24, et que je me demande si le récit extradiégétique est synonyme de point de vue externe. Ils sont là, ils s'étendent, ils s'installent, ils prennent racine ; c'est à peine s'ils bougent quand on les enjambe. Un étudiant en plein blocus est un être asexué, désincarné, déprimé. Néanmoins, au-delà de ces grandes généralités, on pourrait établir une typologie des jeunes universitaires en examen selon différents critères.

L'ALLURE : Certains s'en sortent bien, ne laissent rien paraître dans leur joli costume ou dans leur petite robe noire ajustée. Soit ils gèrent pour de bon, soit ils comptent sur Massimo Dutti et Zara pour augmenter leur note. D'autres ont prit un soin méticuleux à se donner un air négligé : mini short et pull extra large tombant sur l'épaule (style : "j'ai pris le premier truc que j'avais sous la main pour m'habiller, je suis trop absorbée par mon travail pour faire attention à mon look..." mais malgré tout, je ressemble trop à la couverture du Glamour), cheveux relevés en une grosse araignée au sommet du crâne, gobelet de café froid traînant dans la main (genre "Comme si j'étais passée dans un Starbucks juste avant" or il n'y a pas de Starbucks à Liège et les gobelets de la cafèt' sont si petits que ça ne fait aucun effet).

L'ANNEE : Sur l'échelle du stress, on peut observer une courbe concave significative. Les premières années se reconnaissent facilement par le stress qu'ils dégagent, qui émanent d'eux comme un nuage de méthane au dessus d'un troupeau de ruminantes. Ils inspirent soit une certaine empathie, soit un véritable mépris aux années supérieures. Les deuxièmes années se constituent en deux groupes : les arrogants (on est en 2ème, on n'a plus peur de rien) et les discrets (on n'est qu'en 2ème, rien n'est gagné). Personnellement, j'espère toujours que ceux-ci vont réussir et que ceux-là vont se ramasser. Les troisièmes bacs et les 1ers masters sont les plus détendus. Ils savent que les oraux ressembleront plus à des discussions qu'à des interrogatoires et qu'il ne faut pas débiter bêtement ce qu'on a vu au cours mais exprimer clairement ce que l'on pense soi, en tant que roseau pensant. Enfin, les dernières années s'érigent comme une race à part, ils sont de l'autre côté, dans la force obscur : ce ne sont plus des étudiants, ce sont des mémorants. Ils hantent la bibliothèque, croulent sous les usuels, ont leur ordinateur comme meilleur ami et vont mourir. Respect. 

LA FACULTE : La cinquième année en romanes n'est pas une cinquième année en droit ou en médecine. Quand moi j'avais fini d'étudier à 16h, que j'allais faire mon petit jogging peinard dans les champs et que je regardais un film la veille d'un examen pour "me détendre", mes soeurs, elles, bossaient toute la nuit, récitaient le matin en se brossant les dents et relisaient encore dans la voiture qui les conduisait à l'échafaud. Moi, je n'ai jamais dû apprendre le code civil ou l'anatomie de Gray. Mes plus gros cours ne dépassaient pas 150 pages et je ne sais pas ce que ça fait de vivre un oral intégratif devant un jury de spécialistes intransigeants. Les exigences d'une faculté ne sont pas celles d'une autre... Moi, on ne m'a pas appris à défendre des vies ou à en sauver, on m'a appris appréhender la vie, à déchiffrer ses moindres expressions.

Alors ce matin, dans le long couloir du quatrième étage, j'ai slalomé entre les étudiants. J'ai cherché ma clé dans mon sac, l'ai tournée dans la serrure et j'ai ouvert la porte du bureau. Puis, je me suis retournée vers les trente condamnés et je leur ai souhaité bonne chance. Ce sont des étudiants en examen. Respect.

[Illustrations : Limoon, éditions Correspondances]

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