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J'aurais bien aimé être une fille comique...
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8 juin 2011

Arlington Park

Hier soir, après une longue journée, ma pauvre tête était suffisamment fatiguée pour ne pouvoir plus supporter qu’une petite émission de variété. Bien calée sous le bras gauche de D., j’ai donc regardé quelques minutes de X-Factor avant de monter me coucher. C’est ainsi que j’ai entendu pour la première fois une chanson dont je ne connaissais que l’incipit :« Si j’étais un homme, je serais capitaine… ». Bien que je n’accrochai pas une seule seconde à la mélodie et à l’interprétation qu’en fit une concurrente qui, vraisemblablement, n’avait pas encore été blessée par la gent masculine pour bien faire passer les émotions, les paroles m’ont touchées. Elles m’ont un peu fait penser à la somptueuse chanson de Beyoncé, « If I were a boy » – chanson qui, à tous les coups, me déchire le cœur et me fait monter les larmes aux yeux.  Aussi machistes que peuvent l’être les pires hommes de cette terre, les paroles qui dépeignent une vérité si dure, si crue sont pourtant d’une troublante poésie… peut-être parce qu’elles sont merveilleusement portées par une voix féminine.

Un peu plus tôt dans la journée, quelqu’un m’avait raconté, les yeux rouges d’avoir pleuré, comment son mariage partait à vau-l’eau depuis qu’il avait découvert que son conjoint usait et abusait de pornographie. « Comment l’amour peut-il survivre à ça ? Comment ne pas se sentir humilié, trompé, saccagé ? Comment ne pas perdre toute l’estime qu’on avait pour l’autre ? ». J’aurais tant voulu avoir la réponse à ces questions pour aider cette personne. Mais je ne savais qu’écouter ; écouter avec mon cœur grand ouvert et mes deux bras tendus vers elle pour la rattraper.

Et j’ai pensé à ces couples qui ne s’adressent plus la parole que sur un ton de reproche ; qu’à ces regards qu’ils se lancent – glacés et secs comme l’acier. J’ai pensé à ces hommes qui arrêtent leur voiture route de Bruxelles, à ces femmes qui, sous un faux nom, louent une chambre pour l’après-midi. J’ai pensé à tous ces moments qui nous font nous demander si vraiment, l’amour vaut tant de peines.

averymarriedwomanjackvettrianoÀ quel point peut-on souffrir au nom de l’amour ? Jusqu’où peut-on balafrer son amour-propre, renier ses propres valeurs pour l’amour de l’autre ? Doit-on inévitablement se perdre pour être deux? La tête toute pleine de ces questions, je suis allée me réfugier sous la couette  où j’ai joué à cache-cache avec le sommeil toute la nuit. De mes réflexions nocturnes sont nées une conclusion : la relation qui lie un homme à une femme peut se comparer à celle qui unirait un juif à un musulman. Éduqués différemment (les petites autos versus la dînette), ancrés dans une culture propre (Clara Morgan versus Christine Okrent), possédant un système de références différent de celui de l’autre (City Hunter versus le Prince Charmant), ils se battent pourtant pour la même chose (Dieu/l’amour) et partagent un territoire commun. Et si certains parviennent à trouver des terrains d’entente, à négocier des pourparlers et des armistices, d’autres passent leur temps à s’entretuer. Conséquemment, la guerre entre les deux dure depuis – et durera encore – des siècles. On déplorera encore beaucoup de blessés, de cœurs brisés et d’autres petits meurtres conjugaux.

 

"Tous les hommes sont des assassins, pensa Juliet. Tous. Ils assassinent des femmes. Ils prennent une femme et, petit à petit, ils l'assassinent. [...]

Elle se leva du lit et alla sur le palier. Benedict sortait de la salle de bain vêtu d'une ample chemise ressemblant à une blouse. "Tu vas à Londres aujourd'hui?" demanda-t-elle. Il la regarda comme si elle était folle. "A Londres?" dit-il. Assassin, pensa-t-elle. "Je viens de me rappeler que tu avais dit que tu allais à Londres. Pour une conférence ou quelque chose. Et c'est le club littéraire aujourd'hui". - "Je suis ici aujourd'hui, dit-il. Pourquoi, tu espérais que je débarrasserais le plancher pour inviter ton amant à prendre le petit-déjeuner?". Elle se tourna vers la fenêtre qui donnait sur le côté de la maison. […] "Ce serait un drôle d'amant qu'on inviterait à prendre le petit-déjeuner" dit-elle." [Extrait de Arlington Park de Rachel Cusk, pp. 28 & 31] 

Il se peut qu’un jour, un homme ou une femme se relève de son sommeil. Après avoir passé des heures d’insomnie à se demander si elle doit pardonner l’adultère, accepter la pornographie, ignorer le regard d’acier, se taire et rester pour ne pas faire de peine à ses enfants ou partir pour enfin soulager ses propres parents, peut-être qu’une Personne s’assoira sur son matelas, parfaitement calme. Elle dévisagera son conjoint qui dort là, allongé à côté d’elle, le regardera comme elle ne l’aura jamais regardé auparavant – avec objectivité – et parviendra à lui dire qu’il ne mérite pas qu’elle verse tant de larmes. Que ça n’en vaut pas la peine. Que maintenant, tout ça n’a plus d’importance. Et cet Humain, quel qu’il soit, se rendormira, paisiblement. Alors la guerre sera finie. Et l’amour aussi.

[Illustration : Jack Vettriano] 

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