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J'aurais bien aimé être une fille comique...
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10 juin 2011

Vraiment...

Sia-016C'est samedi soir. Plein été. Tu es invitée à un barbecue chez de jeunes parents, avec un groupe d'amis qui se connaît depuis des années, qui partage des souvenirs qui ne sont pour toi que des anecdotes rapportées, toujours  attrapées au détour d'une conversation. La maison est belle, coquette, chaleureuse : en y entrant tu as l'impression de pénétrer dans un magazine de décoration tellement tout y est parfaitement à sa place, parfaitement harmonieux. Ici, c'est Sia ; chez toi, c'est Ikea. Tu te dis que toi, tu n'auras jamais assez d'argent, assez de temps et assez de bras pour avoir un aussi bel intérieur, aussi propre, aussi bien aménagé. Chez toi, c'est le chaos constant dans ton bureau et il y a toujours une tasse qui traîne au fond de l'évier. Assis sur sa chaise haute, le bébé ouvre grand ses beaux yeux bruns, sourit, fait fondre les adultes autour de lui. C'est la maison du bonheur ici.

Au mur, les faire-parts de naissance ont remplacés les faire-parts de mariage. Une demi douzaine de nourrissons photographiés exposent leurs paupières plissées et leurs mains microscopiques : 25-30 ans, c'est la saison des vendanges humaines. Tu apprends qu'une troisième fille de l'assemblée attend un bébé : elle l'annonce très vite, sans anecdote, sans beaucoup d'émotion, comme un fait anodin. Elle rentre dans les rangs, c'est tout. Boulot, maison, fiançailles, mariage, bébé. Tu félicites, tu souris, puis tu réfléchis. Tu as l'impression que toutes ces femmes autour de toi sont des terres fertiles, des champs de blé, des cocons d'amour, des réceptacles de tendresse et d'espoir. Tu vois les futurs papas attendris, attentifs, attentionnés envers leur épouse : tu trouves ça joli, un homme gentil. Toi, tu n'es le réceptacle de rien, la terre fertile de personne. Et même, si tu devais avoir du terreau quelque part, tu préférerais l'avoir au bout des doigts, dans la paume de tes mains ou peut-être dans les circonvolutions de ton cerveau. De la terre noire et grasse dont tu ferais fleurir des idées nouvelles, des mots bourgeonnants, des pensées sauvages. Toi, ton ventre se résume à un estomac, ton corps est bien à toi. D'ailleurs, tu as trop besoin de ton énergie pour courir des kilomètres, tu as trop besoin de ta petite taille pour rentrer dans tes jeans XS, tu as trop besoin de crudités, de boeuf cru et de fromages non pasteurisés.

La soirée avance et tu passes un bon moment : tu poses des questions, tu écoutes, tu cherches la conversation. Parfois, tu te fais muette et observes les autres autour de toi. Ce sont toujours les mêmes blagues qui sortent d'un dîner à l'autre, toujours les mêmes personnes qui attirent ta sympathie - comme l'Homme ne change pas! Tu regardes ton chéri à quelques pas de toi, entouré de ses chers amis : il fait le comique, taquine, se montre sous son meilleur jour. On dirait qu'il évolue dans une masse d'air pur, dans une bulle de liberté : tu le vois heureux, tu t'écartes un peu.

Les gens s'en vont au compte-goutte, de plus en plus tôt au fil des soirées. Ils n'ont plus envie de rester jusque quatre heures du matin, ils ne voient plus l'intérêt. Le lendemain, ils ont des choses à faire : s'occuper d'un bébé, poncer des meubles, retaper leur maison. Dorénavant, le temps ne s'offre plus à l'amitié, il est constructif pour la vie à deux. On discute encore un peu. C'est là que ton chéri s'exclame : "J'adorerais faire comme lui! Partir six mois en Australie! ça doit être superbe, franchement, j'aurais vraiment adoré faire ça!" en mettant le vraiment en italique et avec des petites étoiles dans les yeux. Les mêmes étoiles que quand il dit qu'il est parti à Manchester avec ses meilleurs amis, que quand il dit qu'il aurait voulu être fauconnier. Tu trouves ça merveilleux, toi, que ton amoureux ait de l'envie plein les yeux, tu trouves merveilleux qu'il mette un vraiment en italique dans une phrase : tu te dis que tu devrais l'encourager à réaliser ses rêves, qu'il est jeune, avec toute une vie devant lui, qu'il pourrait y aller puis revenir vers toi, que tu serais toujours là. Tu trouves ça dommage que l'être humain doive parler au conditionnel et ne puisse pas profiter pleinement du temps écourté qui lui est accordé sur cette Terre. Puis, tu te demandes si tu as jamais été le genre de fille dont on disait "Celle-là, j'aimerais vraiment sortir avec". Tu te demandes si un homme sera jamais capable de dire "Moi, j'ai vraiment envie d'acheter une scénic pour y mettre trois enfants et un frigo box rempli de kinder pingui". Tu te demandes ce que tu as vraiment envie de faire, vraiment envie d'être. Tu te demandes si la réponse est dans le fond de ton gobelet de Perrier. Alors tu y plonges ton nez.

On lève le camp vers une heure du matin : tu dis merci, tu t'es bien amusée, c'était une belle soirée. Dans la voiture, tu t'assieds du côté passager, tu boucles ta ceinture, tu attends que ton chéri s'installe lui aussi. Une petite nostalgie se glisse dans l'habitacle, l'air devient lourd, tu manques d'oxygène. Ce soir encore, le monde tourne sans toi, les autres avancent et toi, tu fais du sur-place. Tu attends que les choses se passent, prennent place. Ta patience est admirable et insupportable. Soudain, tu as envie de papoter, de rendre l'atmosphère plus légère, de sentir que vous êtes deux à exister. Tu as envie de dire ce que tu as vu au fond du verre d'eau gazeuse : des vraiment, des envies, des souhaits. Tu poses une question - faire du bruit pour se rassurer, pour prolonger la nuit dans un blabla futile et joyeux. Mais la question achoppe lamentablement, accule la possibilité d'une conversation. Alors tu entends cette petite voix au fond de toi qui te dis "Maryse, ferme-la. Juste... tais toi!". Alors, tu te tais en pensant que vraiment, il est grand temps de devenir une fille comique.

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